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L’horizon d’un sujet

« L'horizon d'un sujet » : période chaotique de divorce et durant laquelle la chorégraphe pour laquelle je travaille décède. Le point de départ est une phrase que mon ex-femme m’a écrit : "Je pars. Ici, je n'ai plus d'horizon". Je peins alors des détails agrandis du jardin où j'habite, et j’observe comment pour moi, ces détails sont source de nouveaux horizons.

L’horizon d’un sujet

Les poètes quand ils ont de la peine, au lieu de la chasser, il lui donne un titre (F. Dard)

Je ne pensais pas qu’en trouvant, sur la petite table en bois ce mot de ma femme:

« Je pars. Ici, je n’ai pas d’horizon »,

cela ouvrirait en moi un autre champ de perspectives.

Georges Didi-Huberman dans son très beau livre sur James Turrell : « L’homme qui marchait dans la couleur » écrit : l’horizon est une arrête, un arrêt dans le visible du désert. Mais c’est en même temps une espèce de bord vivant et fantomatique, capable de brouiller notre vue et de soudainement « se lever » pour venir nous « toucher ». A l’horizon s’élèvent aussi les mirages et même sans eux il reste le lieu par excellence où désert et désir riment visuellement.

J’ai donc commencé à réfléchir sur ce qu’est l’horizon, cette ligne qui habituellement désigne cette frange entre le ciel et la terre. Je voyais bien que ce dont elle parlait évoquait plutôt notre désir qui était devenu une longue et large bande désertique, ou l’autre ne surgit plus, ne vient plus à la rencontre, n’a plus la faculté de recréer le lieu de toutes les perspectives. Mais elle évoquait également ce dégagement nécessaire pour dégager la vue, lui permettre de se perdre, s’évader, s’échapper

J’ai pris mon carnet de croquis celui au format 42 x 29.7 et j’ai dessiné, dans une sorte de désœuvrement, quelques recoins de mon parc : le muret du potager, le bassin aux nénuphars, le paillis au pied des tomates, les étendus de fraisiers, l’érable avec ses feuilles dentelées (acer palmatum dissectum)… J’ai retranscrits ces impressions sur des formats carrés peut-être pour contrer des horizontalités. Il s’est dessiné alors un espace sans fin. Peu à peu ces « extraits » de parc sont devenus des marges du monde, des béances, des lieux de mémoire et d’arrière pays, des lieux où toute tentative de fuite est illusoire.

L’horizon d’un sujet c’est cette question de la terre et de la lumière, des origines, du legs que l’on reçoit lorsqu’on nait en un lieu, un paysage, un horizon, un espace matricielle

L’horizon d’un sujet c’est aussi la ligne qui nous sépare de ceux qui nous ont précédés.

C’est aussi vers quoi nous nous dirigeons, cet horizon vide, « pré natal » cet horizon de pure réceptivité que je ne peux anticiper par aucun à priori. Le lieu de l’être perdu.

Je ne pensais pas qu’à chercher des lignes d’horizon j’y trouverai des constellations.

Novembre 2013

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