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Ecouter la lumière

« Ecouter la lumière » : Dans cette période, je m'interroge sur le lien entre mon métier de thérapeute, la danse et la peinture. L'écoute est le point commun de toutes ces pratiques : écouter ce qui éclaire l'Etre, ce qui l'éclaircit, essayer de retrouver sa clarté antécédente.

J’écoute des vies blanches, des vies sans autre signe extérieur de leur destruction que d’appartenir à l’absence à soi, aux autres, au monde. J’écoute cette fixité du temps, cette opacité de l’être qui se livre avec la meilleure intention afin de s’éclaircir.

J’écoute l’effraction du silence. En peinture, en danse et dans l’écoute de mes patients c’est ça qui me parle. La lumière des mots, leurs timbres, leurs épaisseurs et leurs textures. Ils sont une qualité donnée à la nuit, à l’entour, au toucher et aux rêves. Tout mouvement n’est possible que par le jeu des transparences…et l’enjeu est de retrouver cette clarté antécédente. C’est peut-être l’une des qualités de la lumière, d’être antécédente. Elle coud le monde ensemble ; la pesanteur et la légèreté, le spirituel et le matériel, l’intelligence et l’ignorance.

Les grands peintres chinois ne dessinaient pas par les noirs mais par les blancs qui sont bien autre chose que des réserves. Ce sont des énergies blanches. Les noirs sont à leur service. Ecouter la lumière c’est entendre, non pas ce qui se dit mais, ce qui ne peut pas se dire.

Hors de l’art parfois nous avons la révélation. Elle se produit dans des situations extrêmes, quand de grands paysages nus de neige, de sable ou de ciel, l’appel d’un matin neuf ou le recueil de la nuit convoquent la rencontre vertigineuse avec nous-mêmes. En cet instant tout est là. C’est un éblouissement, un élargissement de l’être hors des frontières du moi où les mains errantes de la nature se joignent dans une prière pour relier en un seul mouvement et la terre et le ciel.

Toute écoute est le récit d’une annonciation, d’un éblouissement.

Je me rappelle surtout des commencements, des récits interrompus, des paysages exténués, cartonneux et ternes, d’un grain de geste, d’une plainte, d’une plaine coiffée d’un ciel ascétique et confus, de mains en brindilles qui se tordent, d’un ciel balayé par un vent noir, de la perte d’un enfant, d’une vigne vierge presque dégarnie le long d’un mur… Des "dépôts" pourrait-on dire, des images dotées d’une force banale et qui contiennent dans leurs intériorités, la puissance d’une bascule.

Un psychologue, Zeigarnik, dit qu’on se rappelle surtout de ce qui demeure inaccompli. Ce qu’on projetait et qui ne s’est pas traduit par des actes. Ce qui ne s’est pas extériorisé persiste dans l’esprit comme des énergies blanches, des réserves, des promesses d’accomplissement.

Peindre, danser, recueillir l’opacité et le précaire est encore une façon d’agir, de faire émerger l’inadvenu – fut-il amer, distant, détourné – de ce qui n’a pas trouvé sa résolution.

Notes d’atelier, Octobre 2017

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